Equitation

On n’imagine pas ce que la compagnie des chevaux demande d’attention, exige d’énergie, suppose de prévenances ; on a pour ces fragiles danseurs étoiles, toujours menacés d’une colique, d’une angine ou d’une boiterie, des prétentions de chorégraphe et des tourments d’infirmière. Leur entretien et leur célébration suffiraient, ô combien, à combler une vie. C’est bien le péril à quoi s’exposent les adeptes de cette ferveur intraitable et inutile. Gratter son cheval pendant des heures, monter la barre encore plus haut, inaugurer sans cesse de nouveaux sentiers dans la campagne et, malgré le froid ou la canicule, les devoirs privés ou les obligations professionnelles, malgré le vacarme que produit, au loin, le monde en marche, ce monde réel dont on s’est retiré par goût de l’aventure et du risque mais peut-être aussi par lâcheté, s’inventer toujours de bonnes raisons d’être les pieds dans la paille ou les étriers, qu’est-ce que ça signifie, au juste ? Que diable fuit-on si vite, si obstinément ? Qui nous poursuit, nous précède ? Quelle chimère puérile, quelle illusion artistique traque-t-on sur ce rond circulaire qui est la loi fondamentale du mouvement équestre, la concrétion de l’éternel retour, et qui illustre bien l’impuissance du cavalier à atteindre la perfection, à se contenter de ce qu’il a obtenu, à s’arrêter, à mettre pied à terre ?

J’ai essayé de répondre à ces questions, mais je ne comprends pas. Sans doute y a-t-il du règlement de comptes avec soi-même et de l’exutoire. De la rage, de la drague et du jeux. Du plaisir esthétique, aussi, du goût de créer dans le périssable, de tout donner afin de consacrer, dans une rhétorique éternelle, un art éphémère, l’excitation de faire une œuvre qui ne restera pas – cette ivresse que connaissent les grands maîtres jardinierss : la nature épousant enfin la culture (où Le Nôtre rejoindrait donc La Guérinière).

Jérome Garcin, La chute de cheval, Folio

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Author: mathieu

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