Le Brevet 2014

Par Pirolin

 

Mon cher Glaude,

J’ai bien failli ne pas pouvoir t’écrire mon annuelle lettre du brevet. Et tu m’excuseras pour mon écriture mal assurée ; elle est le signe de ma fébrilité suite aux événements que je m’en vais te narrer.

J’étais là, assis à mon bureau de surveillant d’épreuve d’histoire-géographie-éducation-civique (ça fait beaucoup pour un seul homme, tu trouves pas?), les bras ballants à regarder la trentaine de touffes de cheveux des têtes penchées sur les copies, à me demander pourquoi j’avais pas moins bu hier à cette soirée de profs et à me dire que, vers midi, une petite bière fraîche, en apéro, devrait me débarbouiller.

C’est à ce moment précis que la porte a pivoté sur ses gonds à une vitesse à peine croyable. La poignée intérieure est venue s’encastrer dans le mur de placo en faisant un bruit qui m’a secoué le cerveau.

J’allais engueuler la porte et la poignée (mais pas le mur, qui, lui, n’y était pour rien, soyons justes) quand je me suis aperçu qu’elles n’avaient pas agi seules. Dans l’encadrement, se tenait un gars cagoulé comme un corse du FLNC, armé d’un pistolet noir mat, dont j’ignorais le nom évidemment.

Pif, paf, mon cerveau secoué entra en action : c’était lui qui avait du taper dans la porte ! Avec son pied ? Avec sa main libre ? En fait peu importait maintenant, car il nous braquait en hurlant des gros mots sur la mère à je sais pas qui qu’était une grosse pute apparemment…

On se serait cru, en tout cas pour ceux qui ont vu le film, dans la « journée de la jupe » ; en moins drôle pour moi, parce que là c’était pas le prof qui tenait le flingue, mais un élève ! Qui bafouillait en plus ! Bastien !

« Bastien, je t’ai reconnu, enlève ta cagoule, donne-moi cette arme dont je ne connais pas le nom et va chez le CPE tout de suite ! »

Je criais en le pointant avec mon doigt de manière tout à fait péremptoire. Il a même pas eu le temps de finir de me dire ta gueule, le pauvre, que, de moi-même, je m’étais plaqué au sol, sur le ventre, les mains ouvertes posées à plat sur le lino. Après, il a demandé aux autres de faire, pareil. J’ai eu envie de leur dire « ah !, vous voyez, j’avais raison » mais l’ambiance ne semblait plus se prêter aux démonstrations d’autosatisfaction pédagogiques. Et pis je ne savais pas s’ils m’auraient bien entendu à cause de ceux qui criaient et de ceux qui pleuraient. Ça n’avait jamais été un tel bordel dans un de mes cours. Même Hakim que je voyais par dessous mon bureau, lui qui était si courageux d’habitude, serrait les dents si forts qu’elles en devenaient molles.

Pourtant, ce fut tout de même lui, Hakim, qui a chopé la cheville de Bastien et l’a fait trébuché. L’arme a claqué par terre, un coup est parti dans le mur (ça m’a encore secoué les méninges, merci bien) et a glissé sur quelques mètres.

Hakim et Bastien ont commencé à se battre, puis deux autres élèves se sont jetés sur Bastien pour l’immobiliser. Tout le monde se relevait. L’un a crié « où est le gun, où est le gun ?! ».

Tout était allé très vite, mais moi j’étais resté couché, le flingue caché sous mon bide.

J’aurai voulu le garder pour moi une fois que tout se serait calmé, mais un quart d’heure plus tard ces salauds de flics m’ont obligé à me relever et l’ont récupéré.

Croyant que j’étais en état de choc, ils ne m’ont rien dit.

Dire que moi aussi j’aurai pu faire claquer des portes contre des murs et dire des gros mots à la cantonade… Un flingue tout noir mat dont je ne connais même pas le nom… Putain de brevet.

 

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