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charrette bleue, Barjavel

La charrette bleue, Barjavel

Note : 9/10

Genre : roman autobiographique familial

Denoel, 1980, 283 p .

Barjavel nous raconte la vie de sa famille autour du bourg de Nyons dans la Drôme.

Il nous invite, au niveau du sol, dans l’intimité de ses parents et de son enfance. Les anecdotes se succèdent en touches impressionnistes pour peindre un tableau touchant de la campagne française autour de la première guerre mondiale. De la charrette manufacturée qui fait l’admiration des gamins, aux sources fraîches qui font la richesse des familles. De ses parents boulangers aux livres dévorés sur une pille de ballots de fourrage ou dans un trou creuser dans la terre fraîche.

Autant de vignettes magiques qui font vibrer un passé révolu comme si on y était.

Jusqu’à la maladie qui emporterait sa mère et son enfance avec elle.

Ce que j’en penses : un régal !

Nouveau-né

La charrette bleue, Barjavel, Denoel, 1980, p.97

Les enfants ne sont pas des paquets qu’on peut poser dans un coin. Une certaine pédiatrie hygiénique et imbécile veut qu’on laisse les nourrissons dans leur lit, couchés sur le ventre, et qu’on ne les en sorte que pour le biberon et la toilette. C’est monstrueux.

Un nouveau-né est un écorché vif. Il vient d’être arraché à la douceur et la sécurité du ventre maternel qui était le prolongement de lui-même. Il besoin, un besoin absolu, vital, d’être de nouveau en contact avec du vivant, de la chaleur, du sang. Le sein était le grand consolateur non seulement par la nourriture qu’il dispensait, mais aussi pour son contact chaleureux et doux avec les joues et les petites mains nues qui cherchent le monde.

Dictionnaire littératif :

Le sein

La charrette bleue, Barjavel, Denoel, 1980, p.98

Le sein aujourd’hui a changé de fonction. Il n’est plus nourrissant mais seulement érotique, réservé aux mains de l’homme. En tant qu’homme je ne m’en plaindrait pas, mais comme j’en ai été privé enfant ! …

Tables de multiplication, mathématique, scolarité

La charrette bleue, Barjavel, Denoel, 1980, p.140

Après l’addition et la soustraction, il eut le supplice des tables de multiplication. J’ai su très vite la table par 2. Mais la table par 3 m’emplit d’effarement. 3 fois 2, 6, je comprenais, c’était la même chose que 2 fois 3, 6. Mais 3 fois 3, 9… Pourquoi ? Pourquoi 9, et pas 8 ? C’était comme ça. Il fallait le savoir. Pour le savoir, l’apprendre par cœur. C’est tout. Et plus loin il y avait le 4 fois 4, 16, qui était le comble de l’inexplicable. Et tout à fait au bout, l’himalaya d’horreur de la table par 9…

Ecole, scolarité, société

La charrette bleue, Barjavel, Denoel, 1980, p.145

Arracher les enfants à leur activité normale qui est celle de l’agitation inutile et joyeuse, pour les enfermer entre quatre murs où pendant des années on leur empile dans le crâne des notions abstraites, c’est la torture la plus masochiste que l’homme est inventé contre lui-même.

Le grand feu de Mai 68 était un sursaut de libération, et non un élan de révolution sociale, comme quelques-uns l’on cru ou voulu le faire croire. La preuve est qu’il n’en est rien resté, qu’un peu de cendres.

Il ne restera peut-être rien de plus, un jour prochain, de notre civilisation. C’est le savoir appris à l’école qui a permis de l’édifier. Et il manque à ce savoir l’essentiel de la connaissance, qui est l’explication du monde, de la vie, le « pourquoi » de l’existence des êtres et des choses, de leur organisation tourbillonnante, des atomes aux univers, et en deçà et au-delà.

Le savoir des écoles se borne à enseigner le « comment ». C’est un savoir éparpillé, sans unité et sans direction. Ce n’est pas un chemin qui conduit vers le sommet de la montagne d’où l’on pourra voir l’horizon et comprendre dans tous ses détails l’ordonnance du paysage, c’est une plaine de sable dont on propose à l’homme d’étudier chaque grain. Ce savoir ne peut donner naissance qu’à une société technique, sans sagesse et sans raison, aussi absurde et dangereuse dans son comportement qu’un camion-citerne lancé sans conducteur sur une autoroute en pente. En brûlant les voitures, les étudiants de Paris, de Tokyo, de Berlin et des universités américaines, avaient fait sans le savoir un choix symbolique.